Commentaire de Stéphane Crête


Bonjour Raôul,

J'ai écouté avec beaucoup d'attention l'hymne national Ô Kébèk. Le titre m'a plu d'emblée car j'y ai reconnu là une signature propre à ce que je perçois de toi et de ton travail. Ça m'a semblé à la fois conséquent et personnel. Il n'est pas facile d'allier l'intime et l'universel et j'ai senti dans ton titre quelque chose de cet ordre là, que j'ai aussi retrouvé dans tes paroles: on y reconnaît ta poésie, mais on y sent aussi un souffle qui va au-delà de ta signature.

Il fallait du courage pour accepter une offre que plusieurs autres ont vu comme un défi périlleux, et c'en est un, en effet. En choisissant de créer un hymne national, on alimente autant la fibre patriotique des uns que le pessimisme politique des autres. Les temps ne sont pas très propices à l'émancipation nationaliste, à mon avis, et j'ai été surpris du «timing» de la Société Saint-Jean Baptiste. En fait, au delà de l'oeuvre que tu as faite, je me suis questionné sur la nécessité d'un tel objet à ce moment-ci de notre histoire. Nous ne nous connaissons pas beaucoup et j'ai à coeur de cultiver ce lien naissant avec toi, mais j'ai également le souci d'être honnête, ce qui me pousse à te partager ces réflexions.

Tu dois savoir (mais il me fait plaisir de te le redire!) que j'ai un très grand respect pour ton travail, aussi grand que mon admiration pour l'artiste que tu es. J'ai pu voir dans cette oeuvre toute la poésie qui te caractérise, mais j'ai surtout pu y sentir tout ton amour pour le Québec et ta grande foi en notre peuple. Il me semble facile de deviner qu'il s'agit là d'une oeuvre importante pour toi, autant dans ton parcours d'artiste que comme québécois. C'est pourquoi j'imagine que les critiques violentes qui ont accompagné la sortie de cet hymne ont dû être très blessantes pour toi.

À mon avis, si les commentaires ont été si divergents, c'est que vous avez touché ici à une corde sensible où tous se sont sentis interpellés, mais de façon distincte. La chanson ne devient plus un hymne, mais bien MON hymne. Et puisqu'il est mien, il doit me ressembler. Chacun aura voulu y voir son style, y entendre sa voix. Mais nous ressemblons-nous encore, en 2011? À quelle fibre pouvons nous nous rallier, alors que nous sommes aujourd'hui si différents comme peuple?

Par ailleurs, on a -à tort- confondu l'oeuvre et la commande. Les critiques visaient parfois l'intention derrière l'hymne, mais le tir touchait le créateur. Tu sais que, quand il est question de nation et de pays, tous deviennent rapidement émotifs, peu importe leur camp, et tu imaginais sûrement d'avance avec quelle masse émotive tu allais devoir composer en proposant un objet de la sorte.

Pour ma part, au delà de mes réserves à propos de l'idée même d'un hymne national, je reste touché par la conviction avec laquelle tu l'a créé et avec laquelle tu le défends. Je constate aussi que c'est une mélodie qui reste à l'oreille longtemps après l'écoute, une pièce musicale audacieuse, mais qui m'a demandé un certain nombre d'écoutes avant de l'apprivoiser. Je ne sais pas encore ce que l'Histoire retiendra de cet hymne. Pour ma part, il s'agit d'une pierre de plus dans l'édifice unique que tu construis depuis tant d'années.

J'ai choisi de répondre à ta demande avec plus d'emphase que tu le souhaitais, peut-être... Mais je ne pouvais pas me contenter d'un banal bravo. J'ose espérer que tu verras, à travers mes commentaires, une invitation à poursuivre nos échanges via les mots et les idées.

Au plaisir d'avoir de tes nouvelles,

Stéphane Crête

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire